Mon enfance à Lallet

Je suis née à Lallet le 11 juin 1931 vers 12h. Il faisait très chaud m’a-t-on dit. À cette époque, les femmes accouchaient chez elles. Il y avait toujours quelqu’un qui était un peu au courant pour aider à l’accouchement. Puis, cette personne lavait le bébé dans une bassine d’eau chaude et l’habillait.

Ma mère était de Beaumont-en-Diois et mon père de Lallet. Mes parents étaient agriculteurs et faisaient de la polyculture. Ils avaient trois ou quatre vaches, un cheval pour le travail, des chèvres, des lapins, des poules et des cochons. Ils cultivaient les céréales pour les bêtes et du blé qu’ils portaient au moulin. Avec la farine obtenue, mes parents faisaient notre pain.

On entrait dans la maison par un portail qui donnait sur un couloir dans lequel il y avait la chaudière pour le cochon, le four à pain et un poêle dont on se servait l’été pour ne pas faire de feu dans la cuisine afin d’avoir moins chaud. La cuisine se trouvait au bout de ce couloir. Au fond de ce cellier, un petit évier en pierre et une fenêtre.

On n’avait pas l’eau sur l’évier. On allait la chercher à la citerne. On utilisait l’eau en l’économisant : on lavait la salade d’abord, puis dans la même eau les pommes de terres, et après on arrosait le jardin potager. La fontaine était en haut du hameau, avec un lavoir couvert. Parfois, l’été, il n’y avait pas d’eau. Dans un de nos terrains où coulait une source, mes parents avaient fait un bassin pour laver le linge l’été et avaient transporté une vieille chaudière.

L’eau très fraîche de cette source servait pour durcir le beurre qu’ils obtenaient en battant la crème du lait de vache avec un fouet. Avec le lait de chèvre mes parents fabriquaient des tommes. Ils vendaient beurre et tommes à l’épicerie de Saint-Julien ou à Die à l’« Économique ». Ils vendaient aussi des lapins, des œufs, pour acheter d’autres produits aux épiciers ambulants. Mes parents faisaient aussi leur vin.

J’ai toujours connu l’électricité. Six familles s’étaient regroupées pour payer une installation privée. À Glovin, une turbine sur le canal d’arrosage nous fournissait le courant. Mon oncle avait eu l’idée de l’installation et l’entretenait. On pouvait donc s’éclairer. Nous écoutions la radio chez nos voisins Mr et Mme Vieux.

L’hiver, on ne chauffait que la cuisine avec une cuisinière qui avait un réservoir. Dans les chambres, on se gelait. Une année où il a fait très froid, l’eau a gelé la nuit dans nos bouillottes. On dormait sous des couvertures en laine et des édredons en plume. Le matin, je mettais mes vêtements sous l’édredon avant de les enfiler afin qu’ils soient moins froids.

Je portais des sabots à clous l’hiver et des chaussures en cuir l’été. Quand il y avait de la neige, on mettait des sortes de bandes molletières pour se protéger. J’étais en jupe et mon frère en pantalon court. Je craignais beaucoup les engelures.

J’allais à l’école à Saint-Étienne-en-Quint. Mon frère et moi parcourions deux bons kilomètres en prenant les raccourcis. Nous étions vêtus l’hiver d’une grande cape de drap de laine et portions bonnets, écharpes et gants. Nous étions chargés chacun de notre cartable et d’un sac qui contenait notre repas de midi. L’hiver, le poêle était éclairé et nous pouvions faire chauffer notre nourriture.

Les élèves éclairaient le poêle chacun leur tour. La commune fournissait le bois. On balayait aussi la classe et on essuyait les bureaux.

À la mauvaise saison, le maître nous laissait partir 1/2 heure avant les autres pour que nous puissions rentrer de jour. Les calculs, les dictées se faisaient le matin et donc l’après-midi c’était moins important.

Quand il faisait très mauvais, le soir, à partir du dernier virage, nous marchions à reculons pour ne pas recevoir les bourrasques de neige dans le visage.

Nous étions quinze à vingt élèves selon les années. Je suis allée à l’école de 6 ans à 14 ans. Certains, peu nombreux, partaient à 12 ans pour le collège.

Paulette Monier

Propos recueillis par Annie Grandchamp