Préambule

Le rôle de la Feuille de Quint n’est pas d’alimenter le débat ou de prendre parti, mais nous avons souhaité faire connaître à l’ensemble des Quintous la problématique à laquelle sont confrontés les dix éleveurs de notre vallée.

Les faits

Le loup s’est manifesté encore récemment dans notre vallée et la FdQ a souhaité rencontrer des personnes qui ont été directement concernées par ces attaques afin qu’elles nous expliquent les faits et nous donnent un aperçu des conséquences et de leur problématique.

Jean-Claude BOUVET, éleveur des bovins attaqués dernièrement, a accepté de nous recevoir et a demandé à Didier MARTIN de se joindre à nous pour nous faire partager son expérience vécue sur des ovins. David VIEUX nous a aussi apporté son témoignage. Et nous les en remercions.

Jean-Claude nous explique qu’il a réussi à constituer, au fil du temps et sans ménager sa peine, un troupeau de 18 bovins qui sont en pâture de plein air intégral sur des terres de bois et taillis lui appartenant dans les hauts de Saint-Andéol. Un élevage entièrement naturel qui valorise ces terres pauvres et non cultivables et les entretient en limitant les risques d’incendie. Jean-Claude, ayant une activité par ailleurs, va voir ses bêtes 2 fois par semaine. Tout s’est bien passé jusque là et son exploitation est enfin devenue rentable et dégage à présent un petit bénéfice.

Son troupeau vient de subir 3 attaques successives à quelques semaines d’intervalle.

Suite à la 1ère attaque, 1 vache a été découverte morte. Il estime que 60 à 80kg de viande ont été consommée par le prédateur. Le constat a été fait, il s’agit bien d’une attaque de loup, bête éviscérée, cartilages des côtes dévorés, … spécificités attribuées au loup. Malheureusement la carcasse n’ayant pas été découverte de suite, Jean-Claude n’a pu être indemnisé, le délai légal de déclaration dans les 72h n’ayant pu être respecté.

Une quinzaine de jours plus tard, le jour de Noël, 2 de ses bêtes sont retrouvées mortes, sans avoir été consommées. Pas de blessure apparente, a priori mortes de stress. Le constat a de nouveau été fait et dans la période légale. Ces morts ont été effectivement attribuées à une attaque de loup et Jean-Claude a obtenu une indemnisation.

Il y a peu il a perdu une autre bête. Elle a tout simplement disparu. Une nouvelle attaque ? Une bête blessée, effrayée, quittant le troupeau pour aller mourir à l’écart ? Personne ne peut le dire, la carcasse n’ayant pas été retrouvée …

Jean-Claude est encore sous le coup de l’émotion et accepte difficilement que ses animaux aient eu une fin indigne, traqués, voire dévorés vivants. Et c’est compréhensible !

Et du point de vue financier, le bilan est sévère : 4 bêtes perdues, 2 seulement ayant donné lieu à indemnisation.

Pour Jean-Claude et les experts venus constater les faits, aucune solution de défense ne peut être mise en place pour un élevage bovin en plein air intégral. Il envisage éventuellement de vendre ses bêtes et d’arrêter cette activité sur laquelle il comptait beaucoup pour assurer un complément de retraite …

Didier a déjà connu plusieurs attaques de loup, sur Saint-Julien et sur Ambel dans les pâturages d’été. Il a perdu à Saint-Julien, près de chez lui, 4 bêtes il y a 2 ans, 3 égorgées et 1 blessée qu’il a fallu abattre. A priori et d’après les constats, 2 loups participaient aux attaques. Cet été sur le plateau d’Ambel, où sont réunies quelques 1200 brebis de la vallée, il y a eu environ une attaque par semaine et pendant plusieurs semaines. Il estime que les éleveurs sont indemnisés pour 50 % des pertes seulement. En effet des bêtes disparaissent sans trace et ne peuvent donc faire l’objet de dédommagement et les brebis d’un troupeau attaqué, stressées, donnent moins de naissance …

Didier nous explique que les ovins font l’objet de nombreuses attaques de loup dans le Diois et que toutes ces attaques sont constatées et centralisées par l’ONCFS (l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage). A certaines périodes de l’année, la personne réalisant ces constats a du mal à suivre le rythme des attaques …

Pour être indemnisé, l’éleveur d’ovins doit avoir mis en place des moyens de protection reconnus, soit des filets de protection électrifiés soit des chiens de type Patou ou Berger d’Anatolie.

Didier ne croit pas trop au parc électrifié. Le loup est intelligent, s’habitue vite et trouve des solutions pour passer outre. Il a donc opté pour des Patous qu’il élève dès leur plus jeune âge au sein du troupeau de brebis. Le troupeau devient alors son troupeau et il le garde. Didier possède 4 chiens à ce jour et il faudra certainement encore d’autres chiens pour assurer la sécurité du troupeau de ses 800 brebis. Mais cette solution n’est pas simple. Il faut élever, éduquer et entretenir les chiens et il y a le risque toujours possible d’incidents avec des randonneurs qui s’approcheraient trop près du troupeau …

David, éleveur de bovins et ovins, estime que la vallée a perdu une quarantaine de bêtes courant 2017 dont 8 à 10 bovins. Pour les bovins, à part de rentrer les bêtes, il confirme qu’il n’y a pas de solution pour les protéger des attaques. Pour les brebis, les éleveurs qui mettent leurs bêtes en pâture d’été sur Font d’Urle (environ 1300 bêtes) ont opté pour la présence de l’homme pour garder le troupeau. Deux personnes se relaient et s’installent même pour la nuit lorsqu’ils perçoivent des indices de la présence du loup.

David, lui-même chasseur, nous explique que le loup s’est tout d’abord attaqué à la faune sauvage. On voyait encore il y a 10 ans des troupeaux de mouflons. Ces bêtes ont peu à peu disparu. Puis se sont les cervidés (biches, chevreuils, chamois) qui ont fait les frais de la présence du loup. Soit ils ont été tués, soit ils ont fui, mais leur population a beaucoup chuté ces dernières années. Le loup s’attaque donc de plus en plus aux élevages et, depuis 3 ans, il vient même dans les vallées, près des bergeries dont David a appris à ses dépens à fermer les portes la nuit.

Danièle LEBAILLIF avec l’aide de

Jean-Claude BOUVET

Didier MARTIN

David VIEUX

Quelques questions que beaucoup se posent

De nouveau, vu le côté polémique du sujet, nous en restons aux faits.

Combien de loups en Europe ?

On recense, selon les estimations des uns et des autres, de 15.000 à 20.000 loups en Europe. La population la plus importante est située dans les pays de l’est (Roumanie – plus de 2000, Bulgarie plus de 1000) et en Espagne (2000 bêtes environ)

Combien de loups en France ?

Le chiffre officiel établi par l’ONCFS (office national de la chasse et de la faune sauvage) est de 360 loups en France au printemps 2017. Ce chiffre est contesté par des éleveurs dont José Bové (député européen, éleveur membre de la confédération paysanne, qui réclame l’abattage du loup) qui annonce une population de loups à hauteur de 700 à 1000 individus.

Et combien dans le Diois ?

La sous-préfecture n’a pu répondre à cette question de façon précise car, nous dit-on, « le loup est une espèce sauvage, relativement discrète et nous n’avons aucun moyen de connaître le nombre d’individus. De plus, cette espèce est en perpétuel mouvement, même si nous pouvions avoir une “photographie” à l’instant T de la présence du loup sur un territoire précis, la nuit suivante, nous pourrions être certain que ce chiffre n’est plus bon. »

Par contre, la présence d’une meute nous est officiellement confirmée sur le Vercors Ouest (Zone de Présence Permanente de La Chapelle en Vercors, Bouvante, jusqu’à Léoncel, Gigors et Lozeron en passant par la vallée de Quint).

A-t-il été réintroduit en France ?

La très grande majorité des « experts » sont formels. Le loup est arrivé sans aide quelconque en traversant la frontière italienne par le Mercantour en 1992. Il n’avait jamais disparu en Italie où il est protégé depuis très longtemps.

Est-il protégé ?

Le loup (canis lupus) a été classé animal strictement protégé dans l’annexe II de la convention de Berne. Elle a été ratifiée par 47 pays dont la France en 1989.

Est-il en progression ?

Les statistiques de l’ONCFS montrent que la situation a fortement évolué depuis 1989. En 2005 on comptait un peu plus de 10 meutes. 52 sont recensées à ce jour.

Le loup est-il accusé de nombreuses attaques contre des troupeaux ?

Les chiffres officiels recensent la perte de plus de 11.000 ovins, caprins, ou bovins attribuée au loup en 2017, dont près de 600 en Drôme (400 en 2016). Une attaque est attribuée au loup si les indices sont confirmés par des photos par exemple ou une (coûteuse) analyse ADN, ou si les indices relevés n’écartent pas la probabilité que ce soit un loup qui est à l’origine de l’attaque.

Pour la zone du Vercors-Ouest qui concerne entre autre notre vallée, la sous-préfecture nous informe « qu’en 2017, les services de l’État ont effectué 56 constats (déplacement d’un agent de l’ONCFS pour vérifier si la victime déclarée par le propriétaire a bien été prédatée par le loup) sur le Vercors Ouest.

Sur ces 56 “déclarations” des éleveurs, 8 n’avaient aucun lien avec le loup et 3 étaient indéterminées (dans ce cas, le doute bénéficie à l’éleveur, donc indemnisation).

Nous pouvons donc dire qu’il s’est produit 48 attaques (56-8) sur ce territoire du Vercors Ouest.

Dans ces constats, 137 animaux ont été expertisés par l’ONCFS, 120 ont été indemnisés car prédatés par le loup. »

C’est quoi le plan loup ?

Tous les 5 ans, le gouvernement travaille sur un « plan loup », numéro d’équilibre difficile tant les tensions et les attentes sont fortes. Le plan loup doit permettre notamment de définir entre autres les modalités d’accompagnement des éleveurs en les indemnisant en cas d’attaques. Le plan loup 2018-2023 a pour ambition – nous citons – « d’assurer la viabilité de l’espèce », en visant une population de 500 loups en France en 2022. Il autorise le prélèvement (autorisation de tuer soit pour la défense autour des troupeaux soit par des gardes attitrés) 40 loups en 2018 et 10 à 12 % les années suivantes. On comprend dès lors aisément les combats autour des chiffres de présence en France.
A qui est confiée la tâche de tuer le loup si nécessité et autorisation ?

La sous-préfecture nous indique que « le loup est une espèce protégée, mais qu’à titre dérogatoire les éleveurs peuvent protéger leurs troupeaux lorsqu’ils disposent d’un arrêté préfectoral de tir de défense. Les premiers acteurs de la défense des troupeaux sont les éleveurs ou bergers. Dans l’arrêté préfectoral les y autorisant, sont listées nominativement un certain nombre de personnes pouvant agir en tir de défense. Ce peut être l’éleveur ou le berger, mais également un chasseur de l’ACCA locale. Les agents de l’ONCFS ou de la Louveterie sont amenés à intervenir sur des tirs de défense renforcée ou lors de tirs de prélèvement, lorsque la pression sur le troupeau le nécessite. Mais le premier acteur de la défense du troupeau est l’éleveur.

Le tir sur cet animal est très réglementé, la filière professionnelle connaît parfaitement cette réglementation et sait se rapprocher des services de l’État pour mettre en place les dispositifs légaux qui existent, arrêtés préfectoraux d’autorisation de tirs, mais surtout les mesures de protection des troupeaux. »

Le loup est-il dangereux pour l’homme ?

A ce jour, aucune attaque n’est recensée sur l’homme depuis son retour en France.

Jean-Claude MENGONI

Danièle LEBAILLIF